Évènement à l’Opéra Comique, Les Fêtes d’Hébé par William Christie, nous rappelle le génie de Rameau, et du maître franco-américain qui célèbre ses 80 ans.
Il y a un miracle Rameau. Miracle que son œuvre, tardive mais abondante, soit d’une telle richesse, d’une telle inventivité, d’une telle modernité sous ses carcans formalistes. Miracle que ce musicien n’ait cessé de se renouveler, creuser son art, malgré des prétextes théâtraux parfois indignes. Miracle qu’il ait su faufiler son génie entre les gouttes d’une époque qui était au divertissement et à la poésie pataude. Ainsi ces Fêtes d’Hébé, second opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau, créées en 1739, quatre ans après le triomphe des Indes Galantes. Ce sera un nouveau succès pour le compositeur d’Hippolyte et Aricie, et l’une des œuvres les plus parodiées de son temps.
On a beaucoup glosé sur l’indifférence du musicien devant les livrets qui lui étaient proposés ; celui des Fêtes d’Hébé compte parmi les plus désastreux. Aussi profonde qu’un pédiluve, l’intrigue narre les affres d’Hébé, bannie de l’Olympe, qui invite les muses à célébrer les arts qu’elles incarnent lors de trois entrées (donc trois actes) : la poésie, la musique et la danse. Après un prologue chez Jupiter, on découvre trois historiettes qui sont prétextes à des échanges futiles mais surtout à des danses, des chants, des ensembles, où Rameau fait montre de son génie. Aucune progression dramatique, aucune continuité théâtrale, mais une suite de numéros de bravoure. La seule curiosité tient en ce que ces exilés de l’Olympe prennent leurs quartiers sur les bords de Seine (clin d’œil à la rivalité entre l’austérité versaillaise et la fougue parisienne).
La vacuité du livret explique que l’œuvre soit si rarement montée. Au vrai, on aurait pu se satisfaire du superbe enregistrement que William Christie en a donné en 1997, car nous sommes face à de la musique pure. Oui mais voilà : « Bill » Christie célèbre ces jours-ci ses quatre-vingts printemps, et il entendait souffler ses bougies au son des Fêtes d’Hébé. Pour ce faire, l’Opéra-Comique a réuni l’un des duos lyriques les plus féconds de ces trente dernières années : William Christie et Robert Carsen.
On connaît l’intelligence et la finesse du metteur en scène canadien, qui est de ceux qui comprennent et respirent la musique. Face au défi des Fêtes d’Hébé, il prend le parti du rire franc, de la parodie courtoise et d’une forme de rigolade bien élevée, qui s’accorde efficacement avec l’œuvre. Le prologue jupitérien se déroule à l’Élysée : Hébée renverse du vin rouge sur la robe de Brigitte Macron et se voit bannie de l’Olympe présidentielle. La voilà donc exilée sur les rives de la Seine, en plein été, à l’heure de Paris-plage, des jeux olympiques, des matchs de foot et des guinguettes pour bobos. Si certains passages traînent vraiment en longueur (la première entrée), il y a beaucoup de drôlerie et de virtuosité dans ces jeux de scènes virevoltants. N’ayant rien à tirer de l’intrigue, Carsen s’amuse et nous amuse.
Il est pour cela épaulé par une superbe distribution, tout éclatante de joie juvénile, comme l’œuvre l’exige. Dans le rôle-titre -mais épisodique- d’Hébé, Emmanuelle de Negri est impeccable. Tout comme la soprano Ana Vieira Leite, le ténor Marc Mauillon, les barytons-basse Renato Dolcini et Lisandro Abadie. Mais le plateau est incontestablement dominé par Léa Desandre. La mezzo française, découverte par William Christie voici près de dix ans, est ici dans son jardin. Des personnages si ténus de Sappho, Iphise et Eglé elle tire des trésors de subtilité, de finesse, d’humour, ajoutant à la perfection musicale une gracilité de danseuse. Car nous sommes ici dans un opéra-ballet, et tout cela danse vraiment.
Dans la fosse, le grand chambellan William Christie couve et caresse « son » Rameau avec une passion inchangée ; à lui seul il nous fait oublier la sottise de l’intrigue et nous rappelle que Rameau -pardonnez ce « Chardonnisme »- c’est beaucoup plus que Rameau.
Les fêtes d’Hébé, Jean-Philippe Rameau, direction musicale William Christie, mise en scène Robert Carsen, Opéra Comique, jusqu’au 21 décembre.